Voici ce que dit la CJUE sur le commerce au Sahara Occidental
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WSRW propose ici un résumé les principales conclusions des arrêts historiques rendus le 4 octobre 2024 sur le Sahara Occidental par la Cour de justice de l'UE.

06 novembre 2024

Un processus juridique de 12 ans arrive à son terme. La Cour de justice de l'UE a jugé que les accords de commerce et de pêche UE-Maroc ne peuvent être appliqués au Sahara Occidental et à ses ressources naturelles.

Comment la Cour est-elle arrivée à cette conclusion ? Et quelles sont les principales conclusions de la Cour ? Western Sahara Resource Watch (WSRW) vous propose uner analyse de ces arrêts.

 

A. Quel était le sujet ?

Le 4 octobre 2024, la Cour de justice de l'Union européenne a rendu trois arrêts :

  • Deux arrêts dans les recours introduits par le Conseil de l'UE et la Commission contre la décision de 2021 du Tribunal de l'UE annulant les accords de commerce et de pêche UE-Maroc au Sahara Occidental ;
  • Un arrêt dans une affaire portée par le syndicat des agriculteurs français Confédération Paysanne que le Conseil d’État Français a renvoyée à la Cour européenne pour avis, dans une affaire qui contestait l’importation continue par les autorités françaises de tomates et de melons du Sahara Occidental, étiquetés à tort comme originaires du « Maroc ».


Dans les deux premiers arrêts, la plus haute cour de l’UE annule les accords de commerce et de pêche UE-Maroc au Sahara Occidental, pour violation des principes d’autodétermination et de l’effet relatif des traités. Retrouvez ici le communiqué de presse de la Cour concernant les accords de pêche et de commerce. Le texte de l’arrêt sur l’accord commercial est disponible ici. L’arrêt sur l’accord de pêche est accessible ici.

Dans l’affaire portée par le syndicat des agriculteurs français, la Cour a statué que les produits récoltés au Sahara Occidental doivent être étiquetés comme originaires de ce territoire. Vous trouverez plus de détails dans un communiqué de presse de la Cour sur l’arrêt, ou dans l’arrêt lui-même.

Une chronologie historique de la procédure judiciaire qui a duré 12 ans est disponible sur notre site Web.

 

B. Quelles sont les principales conclusions ?

1. La Cour a fermement établi la position du Front Polisario quant à sa capacité à porter plainte au nom du peuple sahraoui et à avoir accès à la Cour pour défendre son droit à l’autodétermination.

Au §90 (commerce) et §116 (pêche), la Cour conclut que « le Front Polisario peut contester devant le juge de l’Union la légalité d’un acte de l’Union qui produit directement des effets sur la situation juridique du peuple du Sahara occidental en sa qualité de titulaire du droit à l’autodétermination lorsque ledit acte concerne individuellement ce peuple ou, s’agissant d’un acte réglementaire, ne comporte pas de mesures d’exécution.»

La Cour reconnaît au Front Polisario la capacité d’ester en justice devant les juridictions de l’Union européenne (§70 (commerce), §96 (pêche)) et d’agir au nom du peuple du Sahara Occidental, en étant l’un des interlocuteurs légitimes dans le processus onusien mené pour déterminer l’avenir du territoire (§69 (commerce), §95 (pêche)) et en participant à divers forums internationaux et en entretenant des relations bilatérales au niveau international (§70 (commerce), §96 (pêche)).

Il s’agit là d’une conclusion importante : désormais il n’y a plus de débat sur la possibilité ou non du Front Polisario de porter plainte devant les juridictions de l’Union européenne. Cette question est réglée.

Le §109 de l’arrêt sur le commerce (ou le §138 de l’arrêt sur l’accord de pêche) est sans ambiguïté : le Front Polisario « représente le peuple du Sahara occidental en tant que titulaire du droit à l’autodétermination par rapport à ce territoire». 

2. La Cour confirme le statut séparé et distinct du Sahara Occidental

Depuis l’arrêt de 2016 de la Cour européenne de justice annulant l’accord commercial UE-Maroc au Sahara Occidental, les tribunaux ont souligné le statut « séparé et distinct » du Sahara Occidental par rapport à tout État y compris le Maroc, les tribunaux de l’UE n’ont cessé de confirmer ce statut spécifique. Cela signifie que lors de la signature d’un accord avec le Maroc, les mots « territoire du royaume du Maroc » ne peuvent pas être interprétés comme incluant le Sahara Occidental dans le champ d’application territorial de cet accord.

Il en va de même dans les deux derniers arrêts annulant l’accord commercial UE-Maroc et l’accord de pêche au Sahara Occidental. Le statut « séparé et distinct » est mentionné au §134 (commerce) et au §163 (pêche), presque anecdotiquement, car il s’agit d’une question réglée.

L’arrêt de la Confédération Paysanne souligne le statut séparé et distinct du Sahara Occidental (c’est-à-dire ne faisant pas partie du Maroc), lorsqu’il conclut que les produits en provenance du Sahara Occidental doivent uniquement indiquer le Sahara Occidental comme pays d’origine. Dans son arrêt dans l’affaire portée par le syndicat des agriculteurs français, la Cour précise en outre que le Sahara Occidental est un « territoire douanier » aux fins du code des douanes de l’Union (§87) car la législation douanière de l’Union « établit des codes et des textes distincts pour le Sahara Occidental et le Royaume du Maroc » (§87), à savoir « MA » pour le Maroc et « EH » pour le Sahara Occidental, conformément à l’annexe I du règlement d’exécution (UE) 2020/1470 de la Commission du 12 octobre 2020. 

3. La Cour affirme sans ambiguïté que la « population du Sahara Occidental » et le « peuple du Sahara Occidental » ne sont pas la même chose

La Cour a établi aux §128 (commerce) et §157 (pêche) que « la majeure partie de la population actuelle du Sahara occidental ne fait pas partie du peuple titulaire du droit à l’autodétermination, à savoir le peuple du Sahara occidental. Or, ce dernier, en grande partie déplacé, est seul titulaire du droit à l’autodétermination par rapport au territoire du Sahara occidental. En effet, le droit à l’autodétermination appartient au peuple concerné, et non pas à la population de ce territoire en général, dont, selon les estimations fournies lors de l’audience devant la Cour par la Commission, seuls 25 % seraient d’origine sahraouie.»

Ainsi, « il existe à cet égard une différence entre la notion de « population » d’un territoire non autonome et celle de « peuple » de ce territoire. Cette dernière renvoie en effet à une unité politique, titulaire du droit à l’autodétermination, alors que la notion de « population » vise les habitants d’un territoire.» (§129 (commerce), ou §158 (pêche))

4. Le processus de consultation mené par le Service Européen pour l’Action Extérieure (SEAE) et la Commission ne peut être équivalent à l’obtention du consentement du peuple du territoire non autonome du Sahara Occidental.

En 2018-2019, la Commission européenne a déployé de grands efforts pour tenter de contourner les décisions de 2016, défaite de l’UE devant les tribunaux. La CJUE avait alors explicitement déclaré qu’aucun accord ne pouvait couvrir le Sahara Occidental sans l’obtention préalable du consentement réel du peuple du territoire. Cependant, la Commission européenne avait décidé, de manière très discutable, d’entreprendre une « consultation » des groupes de colons marocains pour contourner les conditions préalables fixées par la Cour. La tromperie de la Commission envers les institutions de l’UE a été évoquée dans le rapport WSRW « Au-dessus des lois » en 2020. Mais une « population » n’est pas la même chose qu’un « peuple ». Et « consultation » n’est pas égale à « consentement ». Cela n’a jamais été énoncé plus clairement qu’aujourd’hui.

Après avoir formulé avec éloquence la différence entre la « population » et le « peuple » du Sahara Occidental, la Cour en déduit ensuite aux § 130 (commerce) et § 159 (pêche) que « la Commission et le SEAE ont conduit des consultations avec les « populations concernées », qui [...] incluent pour l’essentiel les populations qui se trouvent actuellement sur le territoire du Sahara occidental, indépendamment de leur appartenance ou non au peuple de ce territoire. Ainsi que l’a jugé à bon droit le Tribunal, en substance, au point 373 de l’arrêt attaqué, ces consultations ne sauraient donc équivaloir à l’obtention du consentement du « peuple » du territoire non autonome du Sahara occidental. »

Les institutions de l’Union ont non seulement commis une erreur en assimilant la « population » au « peuple », mais elles ont également considéré à tort qu’un exercice de consultation équivalait au droit de consentement.

La Cour souligne la nécessité d’obtenir le « consentement », en rappelant le principe de l’effet relatif des traités, c’est-à-dire que les traités ne peuvent imposer d’obligations ni conférer de droits à des tiers. Se référant à son arrêt de 2016, concluant que le peuple du Sahara Occidental est un tiers-partie aux accords de l’UE avec le Maroc, la Cour a souligné que la mise en œuvre d’un tel accord « doit recevoir le consentement du peuple du Sahara occidental » (§132 (commerce), §161 (pêche)).

La ​​Cour estime que le Conseil de l’UE « n’était pas libre de décider s’il pouvait être fait

l’économie dudit consentement, sauf à violer l’exigence selon laquelle le peuple de ce territoire devait consentir à un tel accord. » (§135 commerce, §164 pêche).

Enfin, aux §140 (commerce) et §169 (pêche), la Cour conclut que le Conseil de l’UE « s’était mépris» en « considérant que les consultations [...] avaient permis de se conformer au principe de l’effet relatif des traités » « considérant que le processus de consultation [...] permettait de respecter le principe de l’effet relatif des traités », tant sur « la portée de ces consultations que sur celle de l’exigence énoncée » dans l’arrêt de la Cour de 2016.

5. Le consentement peut être exprès, mais peut aussi être présumé dans des conditions très strictes, visant à préserver le droit à l’autodétermination et à l’indépendance

Les arrêts rendus en appel diffèrent légèrement de l’arrêt rendu par le Tribunal en 2021, dans la mesure où la Cour de justice de l’Union Européenne ne reconnaît pas que l’expression du consentement du peuple du Sahara Occidental à l’accord en cause doive être explicite. La Cour se réfère au droit international coutumier, qui ne prévoit pas que le consentement d’un tiers doit être exprimé sous une forme particulière.

Si le consentement explicite reste ainsi une option, la Cour reconnaît que dans le cas particulier d’un peuple non autonome, le consentement peut également être présumé, « pour autant que deux conditions soient satisfaites » (§152 commerce, §180 pêche).

Ces conditions sont résumées au §153 (commerce) et au §181 (pêche) :

  • 1. « L’accord en cause ne doit pas créer d’obligation mise à la charge dudit peuple ».
     

Ce que cela signifie : l’accord ne doit pas imposer au peuple du Sahara Occidental des responsabilités qu’il doit remplir comme l’exige l’accord. L’accord ne doit pas, par exemple, exiger du peuple du Sahara Occidental qu’il entreprenne des tâches nécessaires à la mise en œuvre de l’accord.

En d’autres termes, la Cour limite le rôle du Maroc à des fonctions purement administratives, dénuées de toute sorte de souveraineté. La Cour n’applique pas spécifiquement le terme « occupation » dans sa décision, mais ce qu’elle dit ici est conforme au droit de l’occupation.

  • 2. « Ledit accord doit prévoir que le peuple concerné lui-même, lequel peut ne pas être adéquatement représenté par la population du territoire auquel se rapporte le droit à l’autodétermination dont dispose ce peuple, perçoit un avantage précis, concret, substantiel et vérifiable découlant de l’exploitation des ressources naturelles de ce territoire, et proportionnel à l’importance de cette exploitation. Cet avantage doit être assorti de garanties quant au fait que ladite exploitation s’opère dans des conditions conformes au principe du développement durable afin d’assurer que les ressources naturelles non renouvelables restent abondamment disponibles et que les ressources naturelles renouvelables, telles que les stocks halieutiques, se reconstituent en permanence. Enfin, l’accord en cause doit également prévoir un mécanisme de contrôle régulier permettant de vérifier la réalité de l’avantage accordé en application de celui-ci au peuple concerné. »


Ce que cela signifie : la part du lion des avantages obtenus grâce à l’accord est destinée au peuple, et non à la population, du Sahara Occidental, et ces avantages doivent correspondre à un ensemble de critères.

Ainsi, si l’accord ne crée pas d’obligations, mais plutôt des avantages, strictement conditionnés à la préservation de l’autodétermination, pour le peuple – et non la population – du Sahara Occidental, le consentement pourrait être présumé.

La Cour soutient que tant pour l’accord commercial que pour l’accord de pêche, le consentement ne pouvait être présumé.

  • « Le peuple du Sahara occidental ne saurait être présumé avoir donné son consentement à l’application de l’accord litigieux sur ce territoire », soutient la Cour au §160 (commerce). Au §158 (commerce), la Cour conclut « qu’un avantage en faveur du peuple du Sahara occidental [...] fait manifestement défaut dans l’accord litigieux ». Elle ajoute au §159 (commerce) que l’accord litigieux ne vise pas à accorder des droits au peuple du Sahara occidental, en tant que tiers à celui-ci », mais que « c’est le Royaume du Maroc, en tant que partie à l’accord litigieux, qui est titulaire des préférences tarifaires accordées par l’Union aux produits en provenance du Sahara occidental ».
  • Dans l’arrêt sur l’accord de pêche (§186), la Cour souligne de même « qu’un avantage en faveur du peuple du Sahara occidental, [...] fait manifestement défaut dans l’accord litigieux ». Dans le paragraphe suivant, la Cour explique que « les droits de pêche octroyés en vertu de l’accord de pêche dans les eaux adjacentes au Sahara occidental le sont au bénéfice de l’Union et des États membres. Par ailleurs, la gestion des activités de pêche dans ces eaux, notamment dans le cadre de la définition des zones de gestion s’appliquant à ces eaux, est exercée par les autorités marocaines dans le cadre de leurs lois et réglementations nationales,» et que « les différentes composantes de la contrepartie financière sont versées aux autorités marocaines». Ensuite, la Cour explique au §188 que « le champ d’application de l’accord litigieux est établi par rapport à une « zone de pêche » unique définie comme couvrant, pour l’essentiel, l’intégralité des eaux adjacentes au Royaume du Maroc et des eaux adjacentes au territoire du Sahara occidental. La définition de cette « zone de pêche » n’opère toutefois pas de distinction entre les eaux adjacentes au territoire du Royaume du Maroc et les eaux adjacentes au territoire du Sahara occidental. » « Partant, l’accord litigieux n’établit pas quelle partie des droits de pêche de l’Union correspond aux eaux adjacentes au Royaume du Maroc et quelle partie de ces droits correspond aux eaux adjacentes au territoire du Sahara occidental. » (§189).


En ce qui concerne l’accord de pêche, la Cour reconnaît que « cet accord prévoit l’exigence d’une « répartition géographique et sociale équitable » des avantages socioéconomiques découlant de la contrepartie financière versée par l’Union au Royaume du Maroc. » (§190).

« Toutefois, […] les stipulations de l’accord litigieux n’indiquent pas en quoi le principe de répartition géographique et sociale équitable de la contrepartie financière est mis en oeuvre de manière différenciée sur le territoire du Sahara occidental et sur le territoire du Royaume du Maroc. En tout état de cause, ledit accord ne prévoit l’octroi d’aucune contrepartie financière au bénéfice, spécifiquement, du peuple du Sahara occidental. » (§191). « Il s’ensuit que le peuple du Sahara occidental ne saurait être présumé avoir donné son consentement à l’application de l’accord litigieux sur les eaux adjacentes à ce territoire. » (§192).

La Cour a ajouté aux §156 (commerce) et 184 (pêche) que cette présomption de consentement peut néanmoins être renversée pour autant que des représentants légitimes dudit peuple établissent que le régime d’avantage ne satisfait pas les conditions exposées au point 153 (commerce) ou au point 181 (pêche). Cela réaffirme le droit du Polisario à intenter des actions en justice.

Ce paragraphe stipule également qu’il appartient, le cas échéant, au juge de l’Union de déterminer si ledit accord préserve adéquatement le droit à l’autodétermination du peuple concerné ou la souveraineté permanente sur les ressources naturelles.

Par conséquent, dans le cas de nouveaux accords fondés sur le consentement présumé du peuple sahraoui, le contrôle juridictionnel des tribunaux de l’UE s’appliquera avec toute sa force. Au contraire, la Cour évaluera très soigneusement et minutieusement si l’accord proposé correspond aux critères restrictifs énoncés dans les arrêts de 2024.

 

C. Quand prend-il effet ?

Arrêt sur l’accord commercial.

  • L’UE et le Maroc disposent d’un délai d’un an pour mettre fin à l’application de leur accord commercial au Sahara Occidental.
  • La Cour a reconnu que celui-ci « serait susceptible d’entraîner des conséquences négatives graves sur l’action extérieure de l’Union et de remettre en cause la sécurité juridique des engagements internationaux auxquels elle a consenti et qui lient les institutions de l’Union et les États membres» (§185 commerce).
  • « Par conséquent, il y a lieu de maintenir, pour des motifs de sécurité juridique, les effets de la décision litigieuse pour une période de douze mois à compter de la date de prononcé du présent arrêt » (§186). Cela signifie que les institutions de l’UE ont jusqu’au 4 octobre 2025 pour tenir compte de l’arrêt de la Cour concernant les importations en provenance du Sahara Occidental occupé.


Arrêt sur l’accord de pêche. Le protocole a expiré le 17 juillet 2024. Par conséquent, les pêcheries de l’UE ont déjà pris fin.

Arrêt sur l’étiquetage. Cet arrêt a pris effet immédiatement.

 

D. Quelles sont les implications ?

Il est vraiment trop tôt pour être précis à ce stade. Pourtant, voici quelques premières réflexions.

1. Implications pour l’UE et ses États membres

Tout d’abord, l’UE doit immédiatement commencer à s’adapter techniquement à ne plus traiter le Sahara Occidental comme une partie du Maroc dans ses relations commerciales avec le Maroc.

Le point 6 ci-dessus laisse-t-il la porte ouverte à l’UE pour conclure un nouvel accord commercial avec le Maroc qui peut être étendu au Sahara Occidental ? En théorie, oui. En pratique, les conditions fixées par la Cour rendront l’entreprise presque impossible. Il est très peu probable que le gouvernement marocain soit disposé à coopérer avec l’UE pour s’assurer que les Sahraouis – et non les colons marocains – soient les seuls bénéficiaires des accords commerciaux au Sahara Occidental.

Conformément à l’article 36 (1) de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités, sur lequel la Cour s’appuie, « un droit naît pour un Etat tiers d’une disposition d’un traité si les parties à ce traité entendent, par cette disposition, conférer ce droit [...] à l’Etat tiers ». 

Par conséquent, au-delà du régime très strict établi par la Cour, le consentement présumé exigerait que l’UE et le Maroc aient « l’intention » d’accorder des droits au peuple sahraoui. Compte tenu de la position officielle des autorités marocaines, il semble peu probable qu’elles acceptent d’accorder des droits au peuple sahraoui, sou couvert de cet accord avec l’UE, car le Maroc nie depuis des décennies le droit des Sahraouis à l’autodétermination et leur existence même en tant que « peuple » – et pas simplement en tant que « populations concernées ».

Il convient de noter les scénarios intéressants dépeints par le groupe de réflexion European Council on Foreign Relations (ECFR) – selon lesquels, en incluant le Polisario dans ces négociations sur les ressources, l’UE pourrait contribuer à faire avancer le conflit vers une résolution.

Il convient également de noter que les avocats du Polisario ont suggéré après le jugement de 2021, que les Sahraouis pourraient demander des dommages et intérêts pour l’application illégale des accords commerciaux UE-Maroc sur le territoire sahraoui. L’UE doit tenir compte de ce scénario réel. Comme l’a montré la Commission elle-même, le montant des produits pillés s’élève à des millions d’euros par an. 

2. Implications pour les entreprises privées

Le Maroc s’associe à un grand nombre d’entreprises privées sur le territoire occupé, au mépris des principes énoncés dans les arrêts. Trois éléments méritent d’être soulignés.

  • Toutes les entreprises opérant sous contrat marocain sur le territoire du Sahara Occidental sont confrontées à un risque juridique accru. Quelle est l’ampleur du risque ? Cela dépendra sûrement de nombreux facteurs, notamment de la juridiction du pays d’origine de l’entreprise, du fait que l’entreprise soit européenne ou non et de la nature de son implication au Sahara Occidental. Le risque peut être considéré comme plus important lorsque l’entreprise est impliquée dans des secteurs couverts par les arrêts. Globalement, le principe de l’effet relatif n’est pas spécifique aux traités internationaux mais est un principe général du droit des contrats qui s’applique à toutes les entreprises juridiques, quel que soit le système juridique dans lequel elles sont enracinées. Le droit au consentement du peuple sahraoui doit être respecté à tout moment par tous, y compris les entreprises privées. Au contraire, imposer des obligations au peuple sahraoui sans son consentement pourrait être une source de responsabilité civile et pénale devant les tribunaux nationaux de l’État d’incorporation.
  • Les entreprises qui importent des produits agricoles et de la pêche dans l’UE doivent procéder à des ajustements immédiats. Premièrement, elles doivent s’assurer que leurs produits en provenance du Sahara Occidental sont étiquetés comme provenant du Sahara Occidental et non du Maroc. Deuxièmement, elles doivent se préparer à une situation où aucune préférence tarifaire ne sera accordée sur les importations à partir du 4 octobre 2025. Il existe un risque réel que les producteurs du Sahara Occidental exportent désormais de plus en plus vers le marché européen via le Maroc. En conséquence, les détaillants et les importateurs devront donc être de plus en plus sceptiques quant à la véracité des certificats d’origine et des certificats phytosanitaires accompagnant certains produits de la pêche et de l’agriculture originaires du « Maroc ».
  • Enfin, le risque sur la réputation des entreprises s’est accru. Jusqu’à présent, certaines des plus grandes entreprises qui ont remporté des contrats importants sur le territoire ont inventé des « consultations des parties prenantes » particulières avec la « population locale » afin de légitimer leurs opérations et leurs investissements. Cela s’applique par exemple au travail que l’entreprise française Global Diligence a entrepris pour Engie avant la participation de cette dernière à un grand programme de développement des terres agricoles dans le territoire occupé. Avec les nouveaux jugements, cette approche est totalement réfutée. L’argument selon lequel les avantages pour une population locale dans un territoire occupé sont fondamentalement différents d’un consentement du peuple de ce territoire est soutenu sans équivoque par la Cour. De même, les arguments d’une dite licence sociale n’ont aucun sens à la lumière des développements de la Cour de l’UE. WSRW s’attend donc à ce que des entreprises comme Enel ou Engie cessent de faire référence à de tels faux processus dans leurs rapports environnemental, social et de gouvernance (ESG). Si elles persistent à aller à l’encontre des principes du droit international énoncés par la CJUE, des entreprises comme Global Diligence devront dire si elles auraient mené des consultations similaires avec les colons russes en Ukraine.
     

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